Portrait publié en novembre 2015.
Je suis arrivé en novembre 2012. Il faisait froid. Je n’étais pas habitué à ce genre de température. Je viens du Congo Kinshasa. Je me suis échappé de mon pays après avoir été arrêté dans le bar où je travaillais. Kabila venait d’être réélu. Ses opposants avaient l’habitude de se réunir dans le bar. Sa milice était venue les arrêter. Moi, je n’ai jamais aimé ce régime, à cause duquel mon père a dû disparaître, parce qu’il était politicien sous Mobutu, et ma mère se cacher.
Ils m’ont envoyé chez mon oncle. Grandir dans une autre famille que la sienne n’est pas facile. À 17 ans, j’ai voulu faire ma vie. C’est comme ça que je me suis retrouvé à travailler dans ce bar. Les miliciens m’ont tabassé. J’ai été jugé et condamné pour avoir poussé des gens à la révolte. Onze mois de prison, à Malaka, je ne les oublierai jamais.
Et puis un jour, la porte de ma cellule s’est ouverte. Les policiers m’ont demandé de les suivre, et m’ont fait monter dans une voiture. Je pensais qu’ils allaient me violer, me frapper ou me tuer. On a roulé plusieurs heures, avant que la voiture ne s’arrête au milieu de nulle part. Une autre voiture est arrivée et m’a emmené à l’aéroport. Là, on m’a donné des vêtements, on m’a mis dans les mains un passeport et un billet d’avion pour Paris. Je ne sais pas qui a organisé tout ça. Probablement ma famille.
Arrivé à Paris, j’ai fait une demande d’asile. Je suis allé en foyer, puis en CADA (Centre d’accueil pour demandeur d’asile), jusqu’à ce que je sois débouté. J’ai alors reçu un OQTF (Obligation de quitter le territoire français) et ai dû quitter le CADA. Je me suis retrouvé à la rue. J’avais vraiment l’impression que personne ne voulait de moi. Mon avocat de la Cour nationale du droit d’asile m’a dit de faire un recours. Mais en attendant, je n’avais plus droit à rien. Je ne savais pas quoi faire.
On m’a conseillé d’appeler le 115 pour trouver où dormir. La première fois, le 115 m’a trouvé une place à la Boulangerie. Quand je suis arrivé là-bas, le centre était bondé, il y faisait très chaud et il y avait une odeur très forte qui empêchait de respirer. En fait, là-bas tu ne peux pas dormir. Certains se promènent pour voler ce qu’ils trouvent, cherchent des ennuis, d’autres te proposent des sales trucs. Tu ne dors que d’un œil, avec tes affaires serrées contre toi. J’y suis allé souvent ensuite. C’est tout le temps pareil. Parfois, je préférais dormir dans le bus de nuit ou dans le train plutôt qu’à la Boulangerie. Les contrôleurs sont souvent conciliants. J’ai aussi dormi dans le métro. Pendant cinq mois, j’ai vécu comme ça.
Quand on arrive en Europe, c’est pour avoir une deuxième chance. On imagine qu’on va pouvoir s’en sortir. Et puis une fois sur place on se rend compte que ça va être difficile. Seul, et à la rue, les choses les plus simples – prendre une douche, manger, se laver les dents, dormir – deviennent compliquées. Je ne pensais plus qu’à ça, tout le temps. Mon esprit était envahi par les problèmes. J’ai perdu espoir. J’ai perdu la tête.
Les choses que j’ai vues en prison, les choses que j’ai vues dans la rue, ça me donnait envie de mourir. J’ai fait un séjour en hôpital psychiatrique. Quand j’en suis sorti, je me suis à nouveau retrouvé à rappeler le 115 et à aller à la Boulangerie. Et puis un jour que je n’avais pas pu avoir de place, une maraude s’est arrêtée pour discuter. Ils m’ont amené au CHU (Centre d’hébergement d’urgence) de Montrouge et conseillé de rester le lendemain matin pour voir une assistante sociale. À partir de là, on m’a dit chaque soir de revenir le lendemain. Et quand le CHU a déménagé à Romain-Rolland, on m’a proposé d’être hébergé en continu. C’était en juin 2014.
Être là me permet de souffler, de reprendre une vie normale. Maintenant, j’ai retrouvé un peu d’espoir, en partie grâce au Samusocial de Paris. Les animateurs sont très attentifs. Je reprends vie, même si je sais que ça ne sera pas facile. Je participe aussi à des activités organisées par une association, Autremonde. Relaxation et football : ça me fait du bien. Et je suis devenu bénévole. Je tiens la Kfèt’, je m’occupe de l’accueil, je mets de la musique, je conseille les personnes dans leurs démarches. C’est une chouette association. Je suis content que l’assistante sociale du Samusocial de Paris m’en ait parlé.
J’ai 22 ans. J’aime lire, réfléchir, j’aime la musique, la danse, j’aime aussi écouter les gens. Si ma situation se débloque, j’espère que je pourrai passer mon bac et faire des études. J’aimerais travailler dans la restauration. J’ai déjà suivi une formation de commis de cuisine. J’aime ce métier. Le recours à la Cour nationale du droit d’asile n’a rien donné. Ma dernière chance maintenant, c’est d’obtenir un titre de séjour pour soins. En attendant, j’ai peur. Peur qu’on m’arrête dans la rue, peur qu’on me reconduise au Congo où j’aurai des problèmes.
Mon oncle me disait toujours que la poule mange le grain qui peut passer dans son gosier. Ça veut dire qu’il faut savoir adapter ses désirs. J’y pense souvent. Par exemple quand j’ai envie d’une glace et que je ne peux pas me l’acheter. Tout ça me forge, me donne de la maturité. Je sais qu’un jour cette force me servira.