Vanessa Benoit, Directrice générale du Samusocial de Paris, répond aux questions de France Info.
« On sait aujourd’hui qu’être à la rue, ça tue toute l'année »
France info : Dans la capitale, il peut être plus difficile d'établir du lien avec tout le monde que dans une ville de taille moyenne. Comment est-ce que cela se passe avec ces fortes chaleurs ?
Vanessa BENOIT : C’est un peu plus difficile, mais c'est quand même possible. Il y a énormément d'organisations à Paris, d'associations ou d'autres qui mènent des maraudes et qui vont au-devant des personnes qui sont en situation de rue. C'est absolument indispensable en ce moment parce que les personnes souffrent de la chaleur, mais elles ne se rendent pas compte des risques que cela leur fait courir.
Elles ne se rendent pas compte que leur santé, qui est déjà mauvaise, les expose d'autant plus et elles sont beaucoup plus éloignées des messages de prévention que nous entendons tous. Elles n'ont donc pas forcément les bons réflexes : se mettre à l'ombre, s'hydrater, boire de l'eau, faire attention à sa consommation d'alcool.
On entend parler de distributions d'eau, de douches ouvertes. Qu'est ce qui existe concrètement à Paris ?
V.B : Il y a plusieurs choses.
• Nous faisons attentions aux personnes qui sont hébergées en foyers ou à l'hôtel : nous assurer que les personnes fragiles, âgées, femmes enceintes ont les messages de prévention et qu'elles font attention, se mettent à l'ombre, s'hydratent régulièrement.
• Ensuite, pour les personnes qui sont à la rue, il y a des accueils de jour et beaucoup plus de lieux ouverts qu’habituellement, qui ouvrent en plus le week-end. Ils étendent leurs horaires d'ouverture pour permettre aux personnes de prendre plus de douches que d'habitude, d'avoir des endroits rafraîchis et surtout de boire de l'eau et d'entendre les messages de prévention. Dans ces lieux on est attentifs : s’il se passe quelque chose d’inhabituel, s'il y a un coup de chaleur, il faut être en mesure de prévenir les urgences.
• Et puis, troisième grande action, c'est tout ce qu'on appelle "l'aller-vers", ce sont les maraudes qui vont auprès des personnes en sillonnant les rues.
Au Samusocial de Paris, on a des maraudes de jour et des maraudes de nuit. Dans les deux cas, on a des infirmières et dans la nuit, on a également des travailleurs sociaux. On a renforcé ces équipes pour qu'elles soient plus nombreuses à se rendre auprès des personnes, à leur rappeler les messages de prévention.
On leur distribue des cartes avec les îlots de fraîcheur. À Paris, il y a énormément d'îlots de fraîcheur, les tunnels, les parcs aussi, les berges de Seine, des endroits où l’on peut être un peu plus au frais. On leur indique la carte des fontaines, là où il est possible de se restaurer, de trouver de l'eau gratuitement à Paris. On distribue des bouteilles d’eau, des gourdes, des chapeaux de soleil, des brumisateurs, de la crème solaire et quand c'est possible, des vêtements clairs, amples : tout ce dont on a tous besoin en ce moment pour résister à la chaleur.
Vous avez une idée du nombre de personnes que vous avez pu aider depuis ces derniers jours ?
V.B : C'est difficile de vous donner un chiffre précis. On estime qu'il y a près de 2 600 personnes en situation de rue à Paris. En tout cas, c'est ce que nous disait le dernier décompte de la Nuit de la solidarité. Tous les jours, il y a plusieurs centaines de personnes qui sont rencontrées par les maraudes. Et puis il y a plusieurs autres centaines de personnes qui se rendent dans les accueils de jour qui ont étendu leurs horaires.
Ça fait beaucoup de monde. Mais ce n’est sans doute pas vraiment « tout le monde ». On a aussi besoin que les passants, les citoyens qui croisent des personnes sans domicile fixe dans la rue relaient aussi les messages de prévention. Les messages qui rappellent de boire, de se mettre à l'ombre et de se protéger.
Le plan Orsec a été déclenché en Ile-de-France. Qu'est-ce que cela change pour vous ?
V.B : Justement, c'est le renforcement des maraudes et l'extension des horaires et des jours d'ouverture des accueils de jour. Mais c'est aussi une vigilance accrue, c'est à dire que tous les acteurs s'organisent pour suivre la situation de beaucoup plus près. Et puis surtout, il y a des crans supplémentaires qui pourraient être franchis, avec d’autres mesures et notamment l'ouverture de salles rafraîchies.
Quand on se promène dans la rue et que l'on voit une personne qui vit dehors en difficulté, il y a un moyen de la signaler auprès de vos services ?
V.B : Oui, le 115 est le numéro de signalement des particuliers. On est aussi présents sur Internet sur le site du Samusocial de Paris et via une application. Il ne faut pas hésiter à appeler. Cette information est transmise aux maraudes et ensuite les équipes de maraude se rendent auprès des personnes. Et il ne faut pas hésiter à parler aux personnes gentiment, respectueusement, et de leur suggérer peut-être de ne pas rester au soleil, leur proposer une bouteille d'eau. Vraiment, il ne faut pas hésiter à le faire.
Il y a une date que personne n'a oubliée, c'est 2003, la grande canicule de l'été et ses nombreux morts, notamment chez les personnes âgées. Est-ce que depuis près de 20 ans, vos façons de procéder auprès des sans-abris ont changé ?
V.B : Oui. Pendant longtemps, on a pensé que l'hiver était la saison la plus meurtrière pour les personnes sans domicile fixe. On sait aujourd’hui qu’être à la rue, ça tue toute l'année. On sait aussi que l'été est une période particulièrement éprouvante pour les gens qui vivent dehors. La canicule de 2003 a été l'épisode dramatique qui a obligé tout le monde à revoir ses façons d’intervenir auprès des plus fragiles.
C'est ça qui a produit les plans Orsec. Chaque année, on a un plan pour être prêt quand la canicule se déclenche. Et c'est ça qui nous a appris à renforcer notre action toute l'année, à ne plus se focaliser sur l'hiver.