Eric Pliez, Président du Samusocial de Paris, signe le 29 juillet 2015 une tribune dans le quotidien Libération.
Accueil des migrants : le temps du courage
Il pourrait y avoir un avant et après le camp de La Chapelle. Parce que son évacuation aura permis aux pouvoirs publics de prendre conscience des changements à l’œuvre dans le profil des arrivants, et de l’inadéquation des recettes d’hier en matière de gestion des flux, les évacuations plus récentes auront été mieux préparées, avec des solutions d’hébergement dignes et stables.
Premier signe encourageant, il n’aura pas été fait appel à l’hôtel, dont les acteurs ne cessent depuis plusieurs années de clamer qu’il ne constitue pas un dispositif d’accueil adapté, mais à des centres d’hébergement d’urgence transitoires permettant aux personnes de se poser, d’être informées et de se déterminer sur leur demande, accompagnées par des acteurs associatifs. Parce que pour comprendre ses droits, les possibilités qui sont offertes par la France, et prendre des décisions qui engagent sa vie, un minimum de temps est nécessaire. Ces centres aujourd’hui ouverts permettront, on peut l’espérer, d’éviter la reconstitution de camps. Le projet de kiosque d’information pour les réfugiés de la Mairie de Paris va également dans ce sens. Transparence et information, deux conditions clés pour mieux accueillir les personnes, et éviter qu’elles ne soient le jeu des passeurs qui aujourd’hui manipulent leur détresse sur fond de désorganisation institutionnelle.
Craindre un appel d’air n’a pas de sens. Des milliers de personnes sont aujourd’hui prêtes à risquer leur vie en mer, et à accepter une fois parvenues en Europe des conditions de vie parfois bien moins confortables que celles qu’elles ont quittées. Engendrée par les bouleversements politiques aux frontières de l’Europe et une misère qui laisse des générations sans aucun espoir dans leur pays, cette migration de fuite voit aujourd’hui dans l’Europe non pas un eldorado mais un ailleurs où pouvoir construire sa vie. Plutôt que de subir ces flux, d’ériger des barrières vouées à l’inefficacité, l’Europe s’illustrerait en menant une réflexion collective sur les stratégies à adopter pour harmoniser les conditions d’accueil et éviter le jeu des individualismes nationaux. Sujet politiquement délicat, mais qui pourrait témoigner de sa capacité à embrasser d’autres thématiques que la dette.
La France, qui entame aujourd’hui une réforme du droit d’asile, pourrait porter ce projet, tout en initiant sur son territoire une réflexion collective sur les conditions d’accueil avec l’ensemble des acteurs concernés. Car si des progrès sont en passe d’être accomplis, n’en demeurent pas moins encore de nombreux problèmes non résolus pour une grande partie des migrants présents sur notre territoire : personnes déboutées du droit d’asile pour lequel tout retour au pays s’avère impossible, migrants présents depuis de nombreuses années, pourtant non régularisables, qui, sans droits ni ressources suffisantes, se retrouvent dans des dispositifs d’urgence saturés, ou hébergés à l’hôtel. Par ailleurs, parmi les centres d’hébergement ouverts pour l’accueil des réfugiés à Paris se trouvent bon nombre de centres habituellement utilisés dans le cadre du plan hivernal. Ainsi, à la satisfaction de voir s’améliorer les conditions d’accueils des uns, se mêle le crainte de connaître un hiver cataclysmique pour de nombreux sans-abris qui restent trop nombreux à la rue faute de place dans les dispositifs d’urgence.
Loin des sondages d’opinion, des idéologies et de toute récupération politique, le moment semble venu de réfléchir à l’articulation des politiques sociales et migratoires et à leur adaptation aux différents publics sans domicile.