Interview publiée au mois d'août 2017.
L'écrivaine Émilie de Turckheim raconte son expérience du programme Elan, grâce auquel elle accueille Réza, un jeune réfugié afghan.
Comment avez-vous découvert le programme Elan ?
C’est une amie qui en a entendu parler sur France Culture. Les équipes d’Elan nous ont répondu très rapidement, et après quelques semaines proposé d’héberger Réza.
Quelles étaient vos motivations ?
On ne connait jamais vraiment ses propres motivations. Une des raisons, c’est que j’ai deux enfants de 8 et 10 ans qui sont conscients de l’actualité. Des milliers de personnes qui fuient la guerre, les persécutions, ne rien faire est impossible. Accueillir quelqu’un est une forme d’action, une toute petite action qui ne va pas changer la société mais tout de même une résistance face à ce qui est fait ou plutôt pas suffisamment fait par le gouvernement actuellement. Je trouve que c’est une façon douce et riche de s’engager.
Comment vous êtes-vous organisés pour accueillir Reza ?
Mes enfants dorment ensemble. Nous avons débarrassé la pièce où ils rangeaient leurs jouets et leurs affaires pour la transformer en chambre. Ça nous semblait important que Réza ait vraiment un chez lui, un endroit où il puisse fermer la porte et avoir son intimité. C’est compliqué d’arriver chez des gens et de vivre chez eux.
Comment se sont passés les premiers jours ?
Les premiers jours j’étais seule avec lui. Tout s’est très bien passé. Réza était sur le qui-vive, très discret, il avait toujours peur de faire un faux pas, de déranger. Au début il ne faisait aucun bruit le matin lorsqu’il se réveillait alors que nous avons du parquet qui grince. On aurait dit qu’il se déplaçait dans les airs !
Comment Réza s’est-il intégré à votre vie de famille ?
Très naturellement. C’est touchant cette façon qu’il a de vouloir construire une famille autour de nous. Par exemple, il m’a acheté un magnifique poisson, un combattant du Siam, parce qu’il voulait que l’on ait un animal de compagnie. Nous l’avons appelé Paris Barracuda Jacob ! Autre exemple : un jour, mon fils a amené un plant de tomate chétif et pas très en forme ; Réza s’en est tellement bien occupé que le plant est devenu très grand, plein de feuilles et de fleurs. C’est un geste symbolique fort de faire pousser les choses. On sent qu’il veut qu’il y ait de la vie, prendre soin des gens et des choses qui l’entourent.
Quelles sont les difficultés qu’il rencontre au quotidien ?
On est privé de plein de chose quand on est réfugié mais notamment de sa langue, et donc de sa capacité à s’exprimer. Quand on n’a pas les mots pour dire les choses, on finit par se taire. Et puis toutes les démarches sont épuisantes, il faut penser à la caf, au renouvellement du titre de séjour, au rendez-vous avec l’assistante sociale …
Que fait Réza en ce moment ?
Réza a toujours travaillé. Il faisait de la mécanique en Norvège, il a travaillé dans une usine d’emballage, il a été serveur. Actuellement il est agent de nettoyage dans un foyer pour femmes dans le 19e. Il est à 28 h et il voudrait avoir un 35 h.
Que vous a apporté le programme Elan ?
Elan m’a aidé à rencontrer quelqu’un. Cela permet de savoir que la personne veut être accueillie par une famille, toutes les parties prenantes sont d’accord.
Qu’est-ce que cette expérience vous apporte ?
Ce qui est beau, c’est que quand la personne arrive, elle amène avec elle une histoire. Elle a une famille, elle a été un enfant, elle a son caractère. Et une personne, ça n’est pas un flux migratoire. Ce qui est incroyable, c’est qu’il y a toujours un point de rencontre possible entre deux personnes, aussi différentes soient elles. L’humour par exemple, ça crée un champ de connivence ça n’est pas du registre de l’utile.
Vous avez pu découvrir sa vie ?
Reza a quitté l’Afghanistan quand il avait 12 ans, il est ensuite allé en Iran, puis en Turquie en Grèce et enfin en Norvège où il est passé clandestinement sous les essieux d’un camion à l’âge de 15 ans. Il parle beaucoup de la Norvège ou il s’était très bien intégré, il avait beaucoup d’ami. Il est en France depuis trois ans, mais les passages en foyer et en campement à Stalingrad ont eu pour résultat que son niveau de français était très bas au bout de deux ans et demi. Au début il allait dans une association pour apprendre le français. Mais il est découragé, il bosse toute la journée. A 22 ans, j’ai parfois l’impression qu’il a 40 ans avec tout ce qu’il a vécu. Il a connu dix années de guerre, de fuite, de mort violente dans sa famille. Pour l’instant il a besoin d’être entouré joyeusement. C’est une parenthèse heureuse, même s’il a toujours peur que la police lui tombe dessus malgré sa carte de résident pour 10 ans. Pour l’instant on ne parle pas de l’avenir.
Mise à jour : octobre 2018
Emilie n'accueille plus Reza depuis bientôt 1 an. Ce dernier a pu stabiliser sa situation professionnelle et a accédé à un logement. Elle a par ailleurs sorti un livre, Le prince a la petite tasse, qui vient témoigner de son expérience de cohabitation en après coup. Ce magnifique journal est un vrai support pour les futurs accueillants; N'hésitez pas à le découvrir.