LA SUPPRESSION DE L’AME, UN RISQUE POUR TOUS – Retour de terrain du Samusocial de Paris | Samusocial de Paris
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LA SUPPRESSION DE L’AME, UN RISQUE POUR TOUS – Retour de terrain du Samusocial de Paris

19 Sep 2023 • Tribune

L’AME est régulièrement le sujet de questions et débats. Afin d’y voir plus clair, le Samusocial de Paris propose à partir de son expérience de terrain une synthèse de l’utilité et des limites de l’AME.

AME

 

L’accès aux soins pour les personnes précaires est prévu par des dispositifs de solidarité, que sont la CSS (Complémentaire Santé Solidaire) pour les personnes en séjour régulier, et l’AME (Aide Médicale d’Etat) pour les personnes en séjour irrégulier, sous conditions. Ces aides répondent à un objectif d’humanisme, mais aussi de santé publique et d’efficience du système.


Saviez-vous que l’AME est un dispositif déjà particulièrement restreint et difficile d’accès ?

L’AME est une aide sociale d’Etat, séparée de l’Assurance Maladie, avec des conditions mais aussi des modalités d’accès particulièrement restreintes. Elle s’adresse aux personnes en situation irrégulière, qui peuvent prouver leur présence depuis plus de 3 mois sur le territoire, et qui perçoivent de très faibles ressources (<810€/mois). Pour l’obtenir, il faut entreprendre des démarches différentes selon le département, rarement adaptées aux personnes précaires ou peu francophones, et obtenir un rendez-vous par des modalités dématérialisées ou un numéro (payant) avant de pouvoir se rendre au guichet, sous peine d’être éconduit. 

De nombreuses études, concordantes avec les observations des professionnels du Samusocial de Paris, montrent que près de 50% des personnes éligibles à l’AME n’y ont pas recours, par méconnaissance (prouvant s’il le fallait que les réformes de l’AME n’influent pas sur les migrations) ou en raison de sa complexité. Plus dramatique encore, la proportion de non-recours reste la même parmi les personnes atteintes de maladies chroniques. C’est le cas notamment du diabète, que nous retrouvons fréquemment parmi les publics rencontrés à la rue, et qui peut mener à une amputation - ou pire - s’il reste déstabilisé. De fait le public précaire développe davantage de troubles de santé, en raison de ses conditions de vie difficiles mais aussi de l’accès limité aux soins. Une enquête de Médecins du Monde observe ainsi que plus de 2/3 des personnes précaires consultant dans leur dispositif présentent un retard de recours aux soins (et donc généralement une aggravation de leur état), et 45% ont déjà renoncé à des soins.


Saviez-vous que le panier de soins couvert par l’AME, et encore plus celui effectivement mobilisé, est déjà particulièrement restrictif ?

En effet le panier de soins de l’AME est nettement plus restreint que celui des assurés sociaux. Il exclut notamment l’accès aux dépistages (bucco-dentaires enfants, cancer du colon et du col), aux traitements et hébergement pour porteurs de handicap, aux cures thermales, à la PMA, aux médicaments à faible service médical rendu, et aux consultations complexes majorées. Pendant les 9 premiers mois de nombreux soins sont également exclus (kinésithérapie, prothèse de hanche, cataracte, etc.). Par ailleurs la prise en charge financière est moindre car elle est limitée au tarif de remboursement de la Sécurité Sociale et exclut l’accès aux offres de reste à charge 0 pour l’appareillage (dentaire, visuel et auditif), contraignant à vivre avec un handicap. Sur le terrain nous remarquons aussi de nombreux refus de soins (liés à la complexité administrative de gestion, à l’insuffisant accès à l’interprétariat, ou d’autres motifs de discriminations).

Rappelons que l’AME est un des budgets les plus discutés et scrutés dans l’élaboration des lois, alors qu’il n’est équivalent qu’à 0,47 % du budget de l’Assurance Maladie, et qu’un bénéficiaire AME coûte moins cher qu’un assuré social (2 830 € contre 3 588 € par an).


Saviez-vous que la suppression de l’AME risque d’entraîner une saturation des hôpitaux pour tous ?

Les débats proposant la restriction de l’AME aux soins urgents et vitaux (dispositif qui existe déjà) ou sa suppression proposent en réalité d’attendre que les personnes précaires se dégradent jusqu’à devoir être hospitalisées avec un pronostic fonctionnel ou vital engagé, là où une simple consultation en ville aurait suffi en amont. Il est prouvé qu’une pathologie coûte plus cher à traiter lorsqu’elle se dégrade. Ces hospitalisations évitables coûteraient donc nettement plus que le dispositif actuel de l’AME, elles dégraderaient la dette des hôpitaux par des dépenses plus lourdes et désormais non-compensées (donc moins de matériel, d’investissements, et de soignants), et satureraient les urgences puis les lits d’hospitalisation (par hausse évitable de la demande mais aussi baisse des solutions d’aval faute d’AME) au détriment de tous et toutes.


Saviez-vous que restreindre l’accès aux soins des plus précaires impacterait négativement la santé de la collectivité ?

La Covid-19 l’a rendu évident pour tous, la santé individuelle est une affaire collective. Sans compter la saturation des hôpitaux qui en résulterait, souhaiter la réduction des soins primaires pour les personnes précaires, c’est trouver non seulement juste mais même utile de voir des maladies contagieuses circuler davantage dans la population. Cela entrainerait de nouvelles prises en charge coûteuses et pourtant évitables. Tous ces effets ont rapidement été constatés par l’Espagne lors de la suppression (temporaire) de leur équivalent d’AME en 2012, avec une surmortalité de 15 %, les obligeant à revenir en arrière. Pour toutes ces raisons les associations françaises de médecins (SPILF, SRLF, CNGE, SFSP, SFMU, etc.) se positionnent largement contre d’éventuelles restrictions de l’AME.


N’allons pas à rebours de la marche de l’histoire, préservons la santé collective.
 


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