L’AME, un dispositif indispensable | Samusocial de Paris
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L’AME, un dispositif indispensable

23 Oct 2024 • Actualité

L’Aide Médicale d’Etat (AME) continue d’être mise en cause dans le débat public, accusée d’être coûteuse ou de favoriser une immigration illégale à des fins médicales. Les professionnel·les du Samusocial de Paris, qui luttent quotidiennement contre l’exclusion, constatent, au contraire, que la suppression de l’AME mettrait en danger les personnes très précaires et également la santé de l’ensemble de la population, ce dispositif permettant le contrôle de certaines épidémies. Ce constat rejoint les conclusions de plusieurs études récentes. 

 

Matthieu Rosier SSP CHU Babinski

 

Qu'est-ce que l'AME ?  

L'aide médicale de l'État (AME) est un dispositif d’Etat permettant aux personnes étrangères en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins, sous conditions de résidence et de ressources. 

L’AME s’adresse aux personnes en situation irrégulière, qui peuvent prouver leur présence depuis plus de 3 mois sur le territoire, et qui ont de très faibles ressources (< 810€/mois).  

L’AME est indispensable … 

En ouvrant un accès aux soins, l’AME contribue aujourd’hui à prévenir l’aggravation de maladies et complications médicales qui coûteraient plus cher à traiter à un stade avancé devenu urgent : elle permet de soigner plus efficacement des pathologies graves mais prises à un stade précoce, de suivre des grossesses, de stabiliser une maladie chronique, rattraper un retard vaccinal… des modes de prévention moins onéreux que des prises en charge médicales à un stade avancé.  

Exemple : En 2017, monsieur J a fui la guerre civile en Centrafrique, il arrive en France en 2019, en situation de rue. Il ne bénéficiera d’un bilan de santé que 2 ans plus tard diagnostiquant une tuberculose et une maladie schizophrénique probablement liée à son parcours. Après plusieurs semaines de démarches, il obtient l’AME qui lui permet d’être transféré en structure spécialisée, d’avoir recours à des services hospitaliers et psychiatriques spécifiques, à une délivrance de traitement en pharmacie et un suivi quotidien. Depuis lors, son état s’est stabilisé.  

… mais difficilement accessible  

Près de 50 % des personnes éligibles à l’AME n’y ont pas recours, et les associations constatent que les usager·es méconnaissent le dispositif : "Le nombre de bénéficiaires réels est largement inférieur à celui de personnes qui pourraient en bénéficier, puisque le taux de non-recours [aux droits ouverts par l’AME] est estimé à 49 %", souligne Florence Rigal, ancienne présidente de Médecins du Monde, en 2023 (Le Parisien, édition du 24 mars 2023).  

Exemple : Monsieur A est pris en charge par le Samusocial de Paris pour soins de pansements post-amputation de deux orteils, conséquence d’un diabète de type 2 avec complications. Il n’avait pas connaissance du dispositif AME. Si cela avait été le cas, son diabète aurait pu être diagnostiqué et pris en charge beaucoup plus tôt, évitant l’amputation. Des soins adaptés, anticipés, sans hospitalisation, qui auraient sans doute été, au final, moins onéreux. 

Un panier de soins déjà particulièrement restrictif 

Le panier de soins de l’AME est nettement plus restreint que celui des assurés sociaux. Il couvre les maladies, les maternités, mais aussi les prothèses et soins dentaires ou encore les équipements d’optique, sur la base des tarifs de la Sécurité sociale. Mais il exclut les campagnes de dépistages, les traitements et hébergements pour porteurs de handicaps, les consultations complexes majorées… alors même que les publics éligibles à l’AME sont plus susceptibles de relever d’un besoin de santé complexe en raison de leurs conditions de vie et de leur retard à l’accès aux soins.  

L’accès aux soins n’est possible qu’après avoir prouvé trois mois de résidence en France (90 jours exactement) et une part importante des personnes ne possèdent pas de justificatifs de résidence, y compris après plusieurs mois, voire années de présence continue sur le territoire français. Par ailleurs, de nombreux soins ne sont possibles qu’après 9 mois de couverture AME. Et même au-delà de ce délai, les soins compris dans ce panier restent soumis à prescription médicale, dans le cadre de prises en charge spécifiques pour lutter contre les dégradations d’un état de santé par exemple.  

Finalement, l'AME n’offre aux personnes malades qu’un suivi médical de base et limité, permettant seulement d’éviter l’aggravation de leurs pathologies.  

L’AME n’est pas un motif de migration 

Seules 5 % des personnes migrantes expliquent leur venue en France pour des raisons d’accès aux soins (Etude IRDES premier pas, Rapports d’activité du SIAO 75, enquête ENFAMS 2014). En réalité, et nos professionnel·les en font le constat tous les jours sur le terrain, les problèmes de santé sont souvent la conséquence des conditions de vie dégradées à l’arrivée sur le territoire (Etude ANRS-PARCOURS 2015). C’est également ce que corrobore le rapport sur l’aide médicale d’État commandé à l’automne 2023 par le Premier Ministre à Claude Évin et Patrick Stefanini : "L’AME n’apparaît pas comme un facteur d’attractivité pour les candidats à l’immigration", écrivent ainsi les auteurs. 

Les premiers motifs de consultation pour les personnes sans hébergement sont principalement pour des troubles déclenchés ou aggravés par la vie à la rue. 

Est-ce que l'AME coûte cher ? 

Avec un coût de 1,141 milliard d’euros pour environ 466 000 bénéficiaires, l’aide médicale d’État représentait, en 2023, moins de 0,5 % des dépenses de santé en France. L’AME est l’un des budgets les plus discutés et scrutés dans l’élaboration des lois, alors qu’il ne représente que 0,47% du budget de l’Assurance Maladie. Deux anciens ministres de la santé viennent d’ailleurs de signer une tribune pour rappeler l’importance de l’Aide Médicale d’Etat, où ils rappellent que « la prise en charge d’un bénéficiaire coûte sept fois plus cher à l’hôpital qu’en médecine de ville. L’AME est par ailleurs la prestation sociale suivie par l’Assurance-maladie avec le taux de contrôle le plus élevé, et fait l’objet d’une attention toute particulière. » (Le Monde, Tribune du 26/09/24 « Nous, anciens ministres de la santé, nous associons pour rappeler l’importance du maintien de l’aide médicale de l’Etat »). 

En revanche, revoir drastiquement le dispositif, voire le supprimer, reviendrait à attendre que l’état des personnes précaires se dégrade jusqu’à devoir être hospitalisées avec un pronostic fonctionnel ou vital engagé, là où une simple consultation aurait suffi en amont. Ces hospitalisations coûteront au final plus cher que le dispositif de l’AME actuel, elles dégraderont la dette des hôpitaux et auront pour effet de saturer un peu plus les services d’urgence puis les lits d’hospitalisation. De nombreux médecins ont sonné l’alarme à ce sujet (Déclaration de désobéissance signée par 3 500 médecins le 11 novembre 2023).  

Exemple : Monsieur C a 24 ans. En situation d’errance, vivant de façon alternative à la rue ou avec 5 de ses amis dans une chambre. Il est malade, fiévreux et décide d’aller consulter un médecin généraliste, après avoir emprunté de l’argent. Celui-ci lui prescrit des antibiotiques que monsieur C achète avec de l’argent qu’il a de nouveau emprunté. Pourtant son état se détériore, la toux persiste, il perd 18 kilos, présente des douleurs et une grande faiblesse généralisée. Deux mois plus tard, crachant du sang et dans un état de faiblesse très grave, ses amis se décident à appeler les secours. Hospitalisé en urgence dans un service de prise en charge des pathologies aigues, il est diagnostiqué d’une tuberculose pulmonaire contagieuse, avec atteinte du rachis et découvre, de plus, et qu’il est atteint du VIH. Vulnérable, contagieux, en plein stress post-traumatique, monsieur C, n’est plus dans un état « aigu » mais doit rester dans le service, mobilisant un lit, car il ne peut être accueilli ailleurs sans que des démarches sociales et une demande d’AME n’aboutisse. Au bout d’un mois, il est transféré dans un service de soins de suite où son corset est financé par des fonds propres de l’hôpital. Il y restera finalement 3 mois de plus, avant de pouvoir être transféré dans un Lit Halte Soins Santé, pour une durée prévisionnelle de 12 mois. Entre temps, deux connaissances de monsieur C ont été diagnostiquées positives à la tuberculose.  

Le non recours aux droits à l’AME engendre des coûts en soins importants pour les personnes sans ressources et favorisent le renoncement aux soins, qui engendre un surcoût du fait de pathologies chroniques non dépistées, non suivies ni traitées et qui engendrent souvent des pathologies secondaires graves (VIH stade SIDA, compressions médullaires, …). 

En réalité, le plus coûteux aujourd’hui, c’est surtout le travail de gestion administrative de l’AME : 4 à 6h de travail d’assistante sociale hospitalière juste pour l’ouverture des droits. 

La santé individuelle est une affaire collective : l’AME, un enjeu de santé publique 

On sait depuis la crise du Covid 19 que la santé individuelle est une affaire collective. Souhaiter la réduction des soins de base pour les personnes précaires, c’est risquer de voir des maladies contagieuses, sans prise en charge rapide, circuler davantage dans la population. Cela entrainerait de nouvelles prises en charge coûteuses et pourtant évitables. Le Samusocial de Paris a besoin d’outils de protection telle que l’AME afin de garantir l’accès aux soins des personnes sans domicile et de limiter les effets dévastateurs de la précarité sur leur santé, mais également sur la santé publique.  

Tout comme les professionnel·les du SSP, l’ensemble des sociétés savantes médicales (infectiologie, réanimation, santé publique, médecine d’urgence, etc.), ainsi que les acteurs et services du sanitaire, du médico-social et du social dénoncent tout projet de réforme de l’AME qui conduirait à une dégradation des soins. L’Inspection Générale des Finances et l’Inspection générale interministérielle du secteur social concluent également au caractère essentiel de l’AME pour l’équilibre du système de santé.  

Pour en savoir plus lire la note complète  


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