Durant la 2e Nuit de la Solidarité le 7 février 2019, la Ville de Paris et l’ensemble des signataires du Pacte parisien de lutte contre la grande exclusion ont réalisé un décompte des personnes en situation de rue.
Une trentaine de professionnels du Samusocial de Paris participent à l’opération. En tant que chefs d’équipe, ils encadrent des bénévoles répartis aux quatre coins de Paris. Aurore est l’un d’entre eux. Elle travaille en tant qu’assistante sociale au sein des équipes de maraude de nuit du Samusocial de Paris. Ce soir, elle est affectée aux urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou de l’AP-HP, et encadre Marie-Odile et Mamadou. Ce dernier est éducateur spécialisé dans l’un des centres d’hébergement du Samusocial de Paris. Après deux heures de formation dans l’enceinte de la mairie du 15e, l’équipe est prête à commencer le décompte des personnes sans-abri trouvant refuge aux urgences.
« On fait ce qu’on peut »
Stéphanie, l’administratrice de garde de l’hôpital, accueille le trio dans le hall d’entrée des urgences. « Il y a environ 28 personnes qui dorment actuellement ici, contre une dizaine tout au long de l’année, explique-t-elle. Cet hiver, nous avons dû accueillir une quarantaine de femmes et enfants, un nombre particulièrement élevé par rapport aux années précédentes ». Une salle de réunion est réquisitionnée pour les mettre à l’abri. Quant aux pères, ils peuvent s’installer dans la rue hospitalière, une allée chauffée équipée de quelques bancs. Les autres personnes sans-abri restent en salle d’attente. « Chacune doit s’inscrire auprès de l’infirmier d’orientation et d’accueil, précise Stéphanie. Elles consultent un médecin et certaines prennent une douche, d’autres, un repas. La cohabitation est parfois difficile mais on fait ce qu’on peut ».
Ne pas se fier aux apparences
Aurore, Marie-Odile et Mamadou entament leur tournée, munis de trois questionnaires anonymes pour personne isolée, famille et couple, ou groupe de cinq personnes et plus.
Une famille avec deux enfants en bas âge vient ici depuis une semaine. Cela fait deux mois qu’elle n’a plus d’hébergement. Elle répond volontiers aux questions d’Aurore visant à établir leur profil. Une nouveauté cette année, le questionnaire prend en compte l’état de santé des interrogés. « Avant, on était dans un autre hôpital mais ils ne laissent pas rentrer mon mari, raconte la mère. C’est très dur. Mes enfants ont des problèmes respiratoires et ne sont pas scolarisés ». Elle laisse s’échapper quelques larmes. Mamadou remplit le questionnaire, Marie-Odile reste en retrait. Elle est, par le plus grand des hasards, médecin dans cet hôpital. « C’est incroyable qu’on n’arrive pas à trouver de solution d’hébergement pour cette famille. J’en ai la gorge nouée ».
Le trio se dirige en salle d’attente et demande à toutes les personnes présentes si elles savent où dormir ce soir. « Il ne faut pas se fier aux apparences, explique Aurore. Une personne sans-abri ne ressemble pas forcément aux clichés du vieil homme clochardisé ». L’agent de sécurité lui indique deux femmes habituées des urgences. Mais celles-ci assurent qu’elles s’apprêtent à rentrer chez elles. « Le problème, constate Aurore, c’est qu’on peut se sentir gêner de répondre ‘Non, je ne sais pas où dormir’ devant les autres personnes qui patientent en salle d’attente… ».
Les consignes sont précises : pas question de forcer la main à quelqu’un qui ne souhaite pas répondre, ni de réveiller une personne endormie. Le trio poursuit sa mission. L’une des personnes interrogées demande de l’argent, un duvet, à manger. « Nous ne sommes pas une maraude, lui explique Aurore. Vous pourrez trouver dans ce livre toutes les adresses utiles pour obtenir de l’aide ». Elle lui tend le guide Solidarité à Paris. En aparté, elle confie : « C’est vrai que pour moi, c’est étrange de ne rien à avoir à leur proposer ». L’homme s’éloigne en lançant : « Vous ne servez à rien ».
Il est 1h du matin et l’équipe doit rentrer au « QG », la mairie du XVe. Au total, elle a rempli une vingtaine de questionnaires pour personnes seules, et un pour une famille. Chacun livre ses impressions. « Je ne m’attendais pas à rencontrer autant de personnes aux urgences mais c’était intéressant de voir comment se déroule cette opération », constate Mamadou. « Cette nuit nous permet d’avoir une photographie des sans-abri à Paris, rappelle Aurore. C’est l’occasion de prendre conscience de l’ampleur du phénomène, mais aussi et surtout d’évaluer quels sont leurs besoins pour réadapter les moyens mis en place ». Quant à Marie-Odile, elle se souviendra sans doute de cette expérience. « C’est intéressant mais c’est aussi dérangeant. On a le sentiment d’être invasifs auprès des gens et de ne rien leur offrir en retour. Nous avons croisé des personnes qui ne semblaient vraiment pas être à la rue, et pourtant… ».
Le premier bilan du nombre de personnes qui dorment dans la rue à Paris sera annoncé le jeudi 14 février 2019.