De Thomas Aguilera, chercheur à Sciences Po
À la marge ?
Si les squats sont régulièrement associés à l’idée de marginalité, cette dernière peut mener à de mauvaises interprétations. Les squats sont en effet au cœur des villes et des politiques publiques, et parler de marge a également tendance à écraser les personnes qui vivent en squat, présentées comme démunies, alors que les squats permettent de développer de vraies capacités de résistance et d’invention.
Les squats mêlent également confusément la figure du coupable et de la victime, puisque les squatteurs vivent dans l’illégalité, et sont en même temps en situation de vulnérabilité socio-économique et juridique. Le squat est une réponse à un problème de mal-logement, une solution bricolée à défaut d’autre chose, elle-même vectrice de fragilité sociale : la vie en squat rend difficile la recherche d’emploi, l’activation de démarches, tient à distance du droit commun, et en occupant un bâtiment menacé en permanence d’expulsion, les squatteurs se trouvent dans une certaine précarité juridique. Pourtant, les squats ne peuvent être réduits à des pis-aller choisis par les victimes du mal-logement.
Lieux de vie à part entière, ce sont non seulement des alternatives à la rue, quand l’État n’est pas capable de donner un toit, mais également des modes de vie alternatifs qu’il convient de repolitiser. Les squats permettent le déploiement d’une intelligence collective, une forme d’autogestion, d’organisation horizontale, à la différence des centres d’hébergement où les contraintes et les hiérarchies paraissent souvent trop fortes. Quelque chose de collectif, des trajectoires et des liens se façonnent dans ce refuge social, et de nombreuses compétences trouvent là un espace de déploiement.
Entre problème et solution : visibilité et invisibilité des squats
On entend avant tout parler des squats et des bidonvilles lors de crises, à l’occasion d’incendies ou d’accidents. Mais en dehors de ces pics d’attention, ils demeurent souvent invisibles, et les administrations publiques semblent aveugles : si l’Etat sait produire beaucoup de données, il ne possède aucune cartographie des squats. L’Insee recense des logements, mais le squat est dilué dans les cases « sans-abri » ou « habitation de fortune ». En 2000, sous la pression des bailleurs sociaux qui sont beaucoup squattés, l’Etat a initié la construction de bases de données exhaustives, en demandant à la Préfecture de région un recensement destiné à permettre d’accélérer les expulsions. C’est ainsi qu’un rapport publié en 2002 a évalué le nombre de squats à 3000, de tout type, de toute forme. Un nombre sans doute sous-évalué. L’enquête a été remise au préfet de région, qui l’a remise au ministre du logement, avant d’atterrir dans la poubelle du Premier Ministre, celui-ci ne sachant quoi en faire. En 2005, une nouvelle enquête a été menée à la demande des bailleurs sociaux, selon le même procédé, et avec le même résultat.
Inaction publique et politique de l’urgence
On pense souvent aux squatteurs comme à des publics en situation de précarité qui cherchent des moyens pour survivre. C’est effectivement le cas, mais n’oublions pas que la marginalité urbaine est aussi une coproduction des politiques publiques du logement : l’effet d’une vraie défaillance des politiques du logement, et des expulsions qui mettent les gens à la rue. Les responsables politiques ont une réelle volonté de ne pas trop en parler et de laisser la question de côté. Cette inaction publique n’est pas sans produire des effets sur les squats, puisqu’elle crée une stratégie de l’urgence qui délègue l’action à la police et aux associations humanitaires. Le propriétaire est en droit de porter plainte, d’aller au tribunal, le juge peut faire primer le droit de propriété sur le droit au logement et demander à l’huissier d’accompagner les forces de l'ordre pour expulser les squatteurs. En contrepartie, charge aux organisations humanitaires de permettre aux personnes de survivre. Toute la finesse des politiques publiques consiste à laisser vivre en évitant de laisser mourir. En déléguant la gestion des squats, les pouvoirs publics contribuent à dépolitiser la question pour en faire un problème juridique ou humanitaire, or le squat est une question politique.
Des espaces à protéger
Les squats sont des espaces refuges, qui disparaîtront si des politiques de résorption sont mises en œuvre comme ce fut le cas pour les bidonvilles dans les années 50-60. On ne peut mettre tout le monde dans des dispositifs de relogement et de normalisation, sous peine de fixer des trajectoires de manière souvent inadaptée, de localiser de force certaines populations, et d’écraser la diversité. C’est pourquoi il convient d’être méfiant avec l’idée de rendre visibles certains squats, d’autant que certains habitants n’ont tout simplement pas envie d’être sous le feu des médias. Quoi qu’il en soit, on peut dans tous les cas militer contre les expulsions. Toute expulsion ne fait que briser des trajectoires en train de se reconstruire. Même quand les bâtiments sont précaires, des architectes militants peuvent travailler dessus : rien ne nous enferme dans l’alternative entre l’expulsion ou le danger de mort à laquelle la situation est bien souvent réduite. Un exemple comme la Petite Rockette montre aussi la possibilité de projets hybrides, associant des formes artistiques et sociales.