Le programme de médiation de santé sexuelle, mis en place dans plusieurs hôtels sociaux du Samusocial de Paris, a pour objectif d’informer et d’outiller les femmes hébergées en matière de connaissance en santé sexuelle. C’est le pôle hôtelier Delta et le pôle Médical et Soins (PMS) du Samusocial de Paris qui mènent ce programme en partenariat avec des associations, dont Bamesso et ses Amis. L’un des principaux enjeux : permettre aux femmes de devenir actrices de leur propre santé. Reportage dans un hôtel social de Rosny-sous-Bois (93) où nous avons rencontré Caroline Andoum, présidente-directrice de l’association Bamesso et ses Amis, et également médiatrice en santé, et Hanaa Lemguarni, chargée de Mission Santé au Samusocial de Paris.
Créé en 2021, sous l’impulsion du COREVIH Île-de-France (Comité de coordination régionale de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et le virus de l'immunodéficience humaine), le programme de médiation de santé sexuelle a pour objectif de faciliter l’inclusion dans le système de santé des personnes qui en sont les plus éloignées, plus particulièrement dans les hôtels isolés car, « Il y avait un problème d’accès aux soins et d’éducation à la santé, notamment la santé sexuelle, en direction des personnes hébergées qui résident dans les hôtels sociaux du Samusocial de Paris », nous confie Caroline Andoum, de l’association Bamesso et ses Amis, engagée dans la lutte contre les maladies et infections sexuellement transmissibles et pour la promotion de la santé sexuelle.
« Au premier atelier, elles étaient six. Au deuxième atelier, elles étaient vingt-et-une ! » Chaque cycle comprend environ huit ateliers réservés aux femmes hébergées, animés tous les lundis pendant deux heures par douze médiateur·rice·s en santé sexuelle des différentes associations partenaires du programme qui peuvent être accompagné.es par des chargé·e·s de mission santé du PMS.
La première session a pour objectif de mobiliser les femmes. Les équipes font du porte-à-porte pour présenter l’action, mais également ce que ce programme peut leur apporter. Cette étape est primordiale, car le bouche-à-oreille en hôtel s’avère très efficace : « Au départ, c’est un peu compliqué. On se dit qu’on a peut-être mal communiqué l’information. Au premier atelier, elles étaient six. Au deuxième atelier, elles étaient vingt-et-un ! Même nous, on n’arrivait plus à gérer (rires) ! Elles se sont passé le mot. Il y a eu beaucoup de bouche-à-oreille, car elles se connaissent toutes », explique Caroline Andoum.
Puis, cinq ateliers suivent. Les participantes sont invitées à se rendre dans la salle commune de l’hôtel. Les thèmes sont conjointement préparés à l’avance par les associations et le PMS, mais aucun n’est imposé : « On ne fait pas des ateliers figés. La première chose, c’est de savoir comment elles vont, si elles ont des questions, des préoccupations (…), on donne la parole aux principales intéressées, on présente les thèmes de santé et santé sexuelle et on fait en fonction de leurs besoins, et on oriente » explique la médiatrice.
Pour alimenter ces discussions, plusieurs outils pédagogiques sont mis à disposition. Des schémas, des démonstrations, des dépliants traduits en différentes langues. Ces outils permettent de simplifier une information parfois complexe, de traiter les différents thèmes de santé sexuelle de façon plus interactive, et de simplifier l’orientation pour les dépistages, les vaccinations, et les différents services de santé autour de l’hôtel social dans lequel elles sont hébergées.
Démystifier, libérer la parole, et informer sur les risques
« Que ce soit l’anatomie, la contraception, l’appareil génital, les violences sexuelles, l’excision, on parle de tout », affirme Caroline Andoum, « il faut aussi adopter une posture qui leur permette de recevoir l’information. Il faut démystifier, on a cette approche depuis des années chez Bamesso et ses Amis ».
L’un des enjeux majeurs des ateliers est la démystification de thèmes qui peuvent être intimidants, voire tabous. Alors, comment faire pour passer au-delà d’une possible gêne, de la timidité, et garantir la transmission et la compréhension de tous les sujets ? Les médiateurs en santé mobilisent toutes leurs compétences pour y parvenir. Des connaissances d’abord : médicales, de soutien psychologique, culturelles, de l’entretien motivationnel, du système de santé et d’accès aux droits. Des qualités ensuite : l’empathie et l’écoute, notamment.
Pour Hanaa Lemguarni, «la santé sexuelle, c’est délicat, tout le monde n’a pas les mêmes pratiques, il y a aussi toute une partie culturelle. Par exemple, il y a des pratiques vaginales que des femmes issues d’Afrique subsaharienne ont. L’idée c’est de discuter de ça. De leur montrer les risques, les choses à faire ou ne pas faire. Tout ce qu’il y a à appliquer pour leur bien-être total, une bonne santé sexuelle et une bonne santé en général ».
Cette démystification est également permise grâce au format des sessions avant tout collectives, qui s’avèrent être libératrices de la parole. Tout jugement est annihilé par la dynamique du groupe : « il y a des personnes qui prennent plus la parole que d’autres, certaines vont être plus timides, avoir plus de difficultés à s’exprimer. Ce qui est riche, c’est qu’il y en a qui vont avoir cette sensation de pouvoir influencer les autres, car elles vont parler, partager leurs expériences sexuelles. Du coup, les personnes qui s’expriment moins vont se dire qu’elles peuvent parler de tout, que c’est libre, et là ça va ouvrir la parole. C’est cette diversité entre les femmes et ce mélange, l’effet de groupe, qui crée un bon climat et qui casse toute cette gêne. C’est ce qu’il y a de meilleur. Parfois on part sur des débats dont les femmes n’auraient jamais imaginé parler entre elles, et elles sont contentes » explique Hanaa Lemguarni.
Pour la présidente-directrice et médiatrice de Bamesso et ses amis, ce programme doit permettre aux femmes hébergées de s’outiller pour se protéger elles et leur entourage : « Notre objectif premier c’est de leur donner les billes. Déjà qu’elles se connaissent elles-mêmes, qu’elles soient à l’aise de parler de leur santé, qu’elles puissent en parler quand elles sont devant un médecin ou un.e professionnel.le de santé, qu’elles puissent s’en servir pour pouvoir protéger leur famille et leur enfant, pour se protéger elles-mêmes, tout simplement pour qu’elles soient actrices de leur propre santé ».
Une volonté de suivi et d’accompagnement
Ces six sessions permettent d’aborder de nombreuses problématiques, mais l’enjeu est de produire des effets sur la vie des femmes concernées.
C’est pour cela que le PMS et les associations veillent à ce que le suivi et l’accompagnement soient réalisés : « Pour que ces actions aient vraiment l’impact qu’on attend, il faut qu’elles soient suivies. Il y a aussi des problèmes personnels, d’accès aux droits, d’accès à la santé, tout ça ne peut pas se faire en six ateliers (…) Même dans leurs yeux on voit qu’elles ont besoin qu’il y ait un suivi. Ça leur fait du bien d’avoir des personnes avec lesquelles elles peuvent aborder certains sujets », indique Caroline Andoum.
Ainsi, l’association a pu permettre aux femmes qui le souhaitaient de prendre des rendez-vous pour des rééducations périnéales. Celles ayant des pathologies ont pu être orientées vers Médecins du Monde. Celles qui avaient besoin de lunettes ont été équipées…
Une fois les six sessions dédiées à la prévention et la sensibilisation terminées, le programme se s’achève sur 2 à 3 ateliers de dépistage, en fonction des besoins. Les participantes sont libres de faire pratiquer ou non ces examens qui se font dans un endroit confidentiel. Parfois, il leur est difficile de les réaliser, souvent par peur d’un résultat positif. Hanaa et les équipes sont présentes pour rassurer : « S’il y a un résultat positif, il y a tout un accompagnement. On va l’accompagner vers un médecin, vers un suivi, on ne va pas lâcher la personne suite au dépistage ».
À la fin des derniers ateliers qui composent le cycle, des kits de produits essentiels sont distribués à chaque participante : « Cela peut être des serviettes hygiéniques, gels douche, dentifrices, gommages, mais aussi des préservatifs masculins et féminins que la Ville de Paris nous donne » précise la chargée de Mission Santé du Samusocial de Paris.
Bien que ce programme soit un projet de médiation de santé sexuelle, les médiateur·rice·s souhaitent aller plus loin. Pour garder le lien créé entre les sessions, Caroline Andoum les invite notamment à rejoindre l’association Bamesso et ses Amis : « on va continuer le travail et ne pas s’arrêter là. On va aussi lever les freins qu’elles rencontrent dans l’administration pour l’accès aux soins et aux droits ».