Ce n’est pas parce qu’on vit des moments difficiles qu’on doit perdre sa dignité. Raconter ce qui m’est arrivé, ça ne me dérange pas. Au contraire. Ça peut servir de leçon : une femme dans la rue est en danger.
J’ai vécu une première période difficile en 1999, quand j’ai quitté le père de mon fils. Il avait 1 an à l’époque. Je me suis retrouvée à la rue avec lui. J’ai appelé le 115 et on a été hébergés tous les deux dans une chambre d’hôtel où on est restés deux mois, avant d’être orientés vers un centre d'hébergement et de réinsertion sociale. Je crois qu’il y avait plus de places à l’époque qu’aujourd’hui. En six mois, j’ai retrouvé un travail comme conseillère immobilière, puis un appartement. J’étais repartie.
Ma vie a de nouveau déraillé le 25 décembre 2012. Depuis quelque temps, j’enchaînais les contrats d’intérim comme téléconseillère. Vingt et une heures ou vingt-cinq heures par-ci, par-là. Rien de stable. J’ai senti le vent tourner quand mon bail est arrivé à échéance et n’a pas été renouvelé. J’ai demandé au père de mon fils de le prendre avec lui. On en avait de toute façon déjà parlé parce que devenu adolescent, mon fils refusait mon autorité. J’ai dit à mon fils qu’il ne fallait pas qu’il s’inquiète, que j’allais m’arranger avec des amis, ce que j’ai fait. Mais les amis, aussi gentils soient-ils, au bout d’un moment, on sent bien qu’on finit par les déranger. Un mois plus tard, j’ai décidé d’appeler le 115 du 93, qui m’a trouvé un foyer.
Trente femmes dans 70 m² : en arrivant là, je me suis dit que j’allais sombrer. J’étais d’ailleurs déjà déprimée, au point qu’une psychiatre du foyer m’a prescrit des médicaments. Dans le foyer régnait une ambiance très communautaire, les femmes hébergées voulaient rester entre elles. Elles étaient sûrement aussi un peu jalouses parce que je percevais le RSA, alors qu’elles n’y avaient pas droit. Certaines venaient me réveiller pendant la nuit, juste pour m’ennuyer. D’autres étaient carrément violentes. J’en ai parlé aux éducatrices qui m’ont répondu qu’il fallait que j’apprenne à me défendre. J’ai préféré fuguer.
C’était l’été. Il faisait beau. J’ai commencé à vivre dehors. Porte de la Villette. Il y a pas mal de ressources dans le coin : des bains publics, les Restos du cœur, des endroits discrets dans le parc. Je n’avais pas envie de rappeler le 115 pour me retrouver dans un foyer. J’ai fini par trouver un lieu, une voiture abandonnée, dans laquelle je dormais, cachée sous des couvertures sur la banquette arrière. Pour pas être repérée, certains soirs, j’allais dormir dans le parc, derrière un buisson. Je pensais que cette deuxième planque était sûre, jusqu’au jour où trois jeunes ont débarqué. J’ai crié. Mais à cette heure et à cet endroit…
Se faire violer, c’est ce dont toute femme a peur dans la rue. C’est pour ça qu’on se cache. Les trois semaines qui ont suivi, je suis restée tétanisée. Et puis je crois que j’ai eu peur que ça recommence. C’est ça qui m’a incitée à appeler le 115, et à attendre jusqu’à ce que quelqu’un me réponde et me propose une solution. On m’a orientée pour une nuit au centre d’hébergement Romain-Rolland.
Quand je suis arrivée, j’ai tout de suite perçu que c’était différent du foyer où on m’avait envoyée dans le 93. Je me suis sentie rassurée. J’ai pu dormir. Le lendemain matin, une assistante sociale m’a reçue. On a discuté. J’étais au trente-sixième dessous. Elle n’a pas eu de mal à s’en rendre compte. Elle m’a dit qu’ils allaient renouveler ma place tous les soirs jusqu’à ce qu’une place en hébergement continu se libère. Je me suis sentie sauvée.
Après seulement quelques mois, je vais déjà mieux, même si par moment je me sens encore fragile. J’ai trouvé un vrai soutien. J’ai déjà eu quelques entretiens pour du travail. J’attends une réponse pour un CDI de téléconseillère chez un opérateur Internet. Si ça fonctionne, je sais que je pourrai retrouver un appartement, être indépendante, et jouer mon rôle de mère. Mon fils aura bientôt 18 ans. Nous pourrons nous voir tranquillement.
Ce qui m’est arrivé est une vraie leçon de vie, que je ne souhaite à personne mais qui permet de voir les choses autrement. Avant j’étais capricieuse, blasée. À l’avenir, chaque petit bonheur, je saurai l’apprécier.
- Laurence