Je n’ai appelé le 115 qu’une seule fois. C’est l’accueil de la Halte qui m’a encouragée à le faire. Jamais je n’aurais appelé. Je pensais que ça n’était pas pour moi, que d’autres en avaient plus besoin. Moi, grâce à ma retraite, je pouvais dormir une nuit sur deux à l’hôtel. J’avais négocié une chambre à 40€ dans le 20ème. La journée, j’allais à la bibliothèque, ou à la Gare de Lyon. Quand je ne dormais pas à l’hôtel, je restais là jusqu’à la fermeture, puis je prenais le bus de nuit : Gare de Lyon-Gare de l’Est, puis en sens inverse, de 1h à 5h. Des femmes de la Gare m’avaient conseillé ce trajet. Je faisais des aller-retours. Je regardais Paris. Je me remémorais des bons souvenirs. Dormir dans le bus, c’est presque impossible. Il y a beaucoup trop de monde. Quand je voyais les gens, je me disais qu’il y avait encore plus malheureux que moi. Je ne faisais qu’un repas par jour, le petit-déjeuner. Je n’ai pas beaucoup mangé.
Quand j’ai appelé, le 115 de Paris m’a trouvé tout de suite une place. En arrivant au CHU Romain Rolland, j’étais un peu perdue. On m’a dit que le lendemain, je devais rencontrer une assistante sociale. Celle-ci m’a dit qu’elle allait me trouver une place en continu. 15 jours plus tard, elle me rappelait pour me dire que je pouvais revenir. Maintenant, on me recherche un studio. D’ici quelques mois, je devrais retrouver une vie normale.
Encore aujourd’hui j’ai honte. Honte de dépendre de la société. Si je ne touchais pas ma pension, je pense que je n’oserais pas demander le RSA. J’aurais l’impression de profiter. C’est pour ça que j’aime me rendre utile dans le centre où je suis hébergée par le Samusocial de Paris. Je m’occupe de la bibliothèque, du jardin.
J’ai toujours travaillé, j’ai été secrétaire dans l’armée, pour un journal d’expatriés et 25 ans dans un théâtre à Aix. Je me suis retrouvée à la rue après être venue m’occuper de ma marraine à Vincennes. Je suis restée à ses côtés pendant six ans. Quand elle est décédée, j’ai voulu retourner à Aix, je me suis fait voler mes bagages à la gare et je ne sais pas ce qui s’est passé. J’avais tout perdu, j’étais affolée. C’est comme ça que je me suis retrouvée à l’hôtel. Au début j’appelais mes amis à Aix pour leur donner des nouvelles. Je leur racontais que tout allait bien. Et puis petit à petit à petit j’ai coupé les ponts. J’avais honte de ce qui m’arrivait. Aujourd’hui, je préfère rester à Paris.
- Nicole