Une nuit en maraude | Samusocial de Paris
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Une nuit en maraude

29 Oct 2018 • Reportage

 

 

Chaque soir, les maraudeurs du Samusocial de Paris parcourent la ville en camion pour aller vers les personnes en situation de grande exclusion. Leur mission? Recréer du lien, les informer et les orienter vers les structures les plus adaptées à leurs besoins.

Fin de journée

18h. « 115 de Paris, Bonsoir ? ». Toutes les écoutants du 115 sont en ligne. Au siège à Ivry-sur-Seine, notre centre d’écoute téléphonique est opérationnel 24h sur 24, 7 jours sur 7. Le nombre d’écoutants varie de 2 à 8 personnes selon la période de l’année.
Ici, les appels proviennent de personnes isolées et de familles en recherche d’hébergement pour la nuit, mais aussi de particuliers souhaitant faire un signalement. La  mission de nos écoutants ? Informer, orienter et, dans le meilleur des cas, trouver une solution d’hébergement en fonction des places à disposition.

Les écoutants du 115 sont tous en ligne.

 

Gaëlle, écoutante et coordinatrice suppléante

« Il y a plus de personnes à la rue en été qu’en hiver car il y a moins de signalements, moins de places et moins de bénévoles. Les sans-abri s’épuisent en hiver et meurent en été. Notre cœur de métier, c’est de faire du soutien psychologique. On n’a plus que ça à leur offrir. Seul 10% des demandes peuvent être pourvues, compte tenu des places disponibles ».

20h. La journée s’achève pour certains mais pour d’autres, elle ne fait que commencer. Nos équipes mobiles d’aide (EMA) se réunissent pour faire le point. Que s’est-il passé la veille, quelles sont les situations préoccupantes ? Autant d’informations à transmettre aux équipes de nuit avant leur départ en maraude.

20h45. Nos maraudeurs se rendent sur la plateforme du 115 de Paris pour recueillir les signalements. Chacune des équipes se compose d’un chauffeur, d’un éducateur spécialisé et d’une infirmière. Ce soir de novembre, elles sont six, réparties par groupe d’arrondissements.

En selle

Les maraudeurs font le tour de la ville en camion.

 

21h. Nos véhicules quittent les locaux d’Ivry-sur-Seine, direction la capitale. « On travaille dans l’urgence, explique Louis, éducateur spécialisé. Notre mission est multiple : aller vers les personnes sans-abri pour retisser du lien, faire une évaluation sociale et sanitaire de la situation et les orienter au mieux vers une structure de soins ou un hébergement, selon les places disponibles. On n’a pas vocation à devenir leur référent. Notre rôle, c’est plutôt de les aiguiller vers des personnes qui pourront l’être en journée ».

21h30. L’EMA s’arrête devant la station du RER Luxembourg. Une fois par semaine, notre équipe rend visite à Yvan. Le vieil homme souffre de troubles psychiques et de problèmes de santé aux jambes. « On vient de lui trouver une place au centre Romain Rolland », signale Louis. Yvan monte dans le camion.  

22h. La tablette s’allume sur les genoux d’Annick, l’infirmière. Il s’agit d’un signalement au 115. Direction le boulevard Raspail, où Dariutz chante très fort sur la voie publique. Il est aussi connu de l’équipe, qui l’invite à prendre place aux côtés d’Yvan avec ses grosses valises. Entre deux cris du nouvel hôte, Annick remplit la fiche de prise en charge destinée au centre d’hébergement. « On se téléphone parfois d’un camion à l’autre pour discuter d’une situation difficile à gérer et demander l’avis d’un collègue. C’est très rare que les gens soient violents envers nous ».

22h10. Notre camion vient de redémarrer et déjà, un, puis deux hommes interpellent le trio à Denfert-Rochereau. Dariutz s’agite; Annick est au téléphone et a du mal à entendre s’il reste encore des places d’hébergement disponibles.

23h. Arrivée au centre Romain Rolland, situé Porte d’Orléans. Notre équipe accompagne les quatre hommes dans la salle de restauration, où des repas chauds sont servis toute la nuit. Ils s’installeront ensuite dans une chambre double ou simple équipée d’une salle de bain. Le lendemain, ils auront droit à un petit-déjeuner avant de repartir en fin de matinée. « Ici, ils peuvent rencontrer un médecin et une assistante sociale s’ils le souhaitent », précise Annick. Le centre a des places réservées aux femmes seules, et quelques-unes pour les couples.

Arrivée du camion au centre Romain Rolland.

 

Minuit. Notre camion fait des rondes dans le 6e arrondissement. « On travaille beaucoup sur signalement mais quand il ne fait pas froid, les gens ne se mobilisent pas », remarque Louis. L’équipe recherche un homme signalé hier rue Lobineau, en vain. « Nous ne sommes autorisés qu’à intervenir sur la voie publique, poursuit Louis. Or bien souvent, les gens et notamment les femmes vont se mettre à l’abri dans les gares, les stations de métro ou les hôpitaux ». Sur le chemin, quelques tentes campent ici et là mais elles sont toutes fermées. Pas question de déranger.

1h. Retour au centre pour déposer un nouvel arrivant. Dans la salle de restauration, le ton monte entre deux hommes. Nos équipes tentent de calmer le jeu. Le centre est maintenant complet pour ce soir.

Pause-repas à Ivry-sur-Seine
Nos équipes se retrouvent et se racontent les événements de la nuit. On échange sur les situations des uns et des autres…et on se détend !

2e round

3h. Mehdi, une guitare dans le dos, salue notre chauffeur par la vitre.  « Je voulais vous voir mais je ne vous croisais pas dans le quartier ! ». « Il faut appeler le 115 », lui répond-t-il. Notre équipe s’arrête discuter. « Vous avez des chaussettes et un caleçon svp ? », demande Mehdi. Annick lui tend les fournitures. L’homme raconte son agression quelques jours plus tôt. On lui sert du thé. « Je ne sais pas où je vais dormir mais je ne retournerai pas au centre, j’aime pas partager ma chambre ».

3h30. Notre camion s’arrête de nouveau. Une famille est installée sur le trottoir, se protégeant tant bien que mal dans un abri de fortune. Personne ne dort. Les maraudeurs entament la discussion. La famille est-elle suivie par une assistante sociale, les parents ont-ils appelé le 115 aujourd’hui ? Le père répond par l’affirmative. « Pour l’instant, il n’y a plus de places d’hébergement », indique-t-il. « Mais il ne faut pas hésiter à rappeler tous les jours, des places finiront par se libérer », encourage Louis.

Les maraudeurs ne réveillent pas les personnes endormies mais vérifient qu'elles respirent.

 

Au cœur de la nuit, nos équipes croisent surtout des personnes endormies dans les recoins de la ville. Elles ne les réveillent généralement pas, mais vérifient qu’elles respirent. Pouvoir trouver le sommeil dehors est suffisamment complexe pour qu’on ne perturbe pas les quelques heures de repos des personnes.

4h. Larbi croise notre chemin, rue de la Harpe. Ses propos sont incohérents mais entre les lignes, on comprend qu’il veut un duvet pour la nuit. L’homme a seulement dormi une heure en deux jours.

5h. Fin de la tournée, nos maraudeurs déposent le véhicule au siège. Ils informent les coordinateurs des faits marquants de la nuit. Suivant les cas, les travailleurs sociaux peuvent aussi faire des transmissions d’information par mail ou via le logiciel du 115. Les infirmières utilisent quant à elles un autre logiciel, uniquement accessible au personnel soignant.
Le jour va bientôt se lever, il est temps pour nos équipes de nuit d’aller se reposer.

Youssouf, chauffeur depuis plus d’un an
« Je suis chauffeur et accueillant social : je conduis et j’assure la sécurité de l’équipe, tout en créant du lien avec les personnes sans-abri. La plus grande difficulté, c’est le manque de places d’hébergement. Ça peut créer des frustrations et ce n’est pas évident de dire aux gens ‘Non, il n’y a pas de place pour vous ce soir’. Avant, j’étais écoutant au 115. Je me basais uniquement sur le ressenti ; ici, je suis devant le fait accompli. On voit vite dans quel état la personne se trouve pour l’orienter au mieux. Moi, je préfère le contact direct ».

Annick, infirmière depuis dix ans
« On commence à connaître tous les sans-abri qu’on croise. Leur état ? C’est du cas par cas. On en voit certains se dégrader mois après mois...Si je rencontre une personne nécessitant des soins, j’appelle le médecin d’astreinte pour une orientation en LHSS** et lui décris la situation. Je suis ses yeux en quelque sorte ! Lui seul prend la décision de l’admettre ou pas. Mais si j’estime que quelqu’un court un grand danger, j’appelle le Samu ».

* EMA : Equipe Mobile d’Aide
**LHSS : Lits Halte Soins Santé


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