Mardi 21 novembre dernier, trois décennies après le départ en maraude des premiers camions, le Samusocial de Paris a organisé l’événement de lancement de son 30e anniversaire au Conservatoire National des Arts et Métiers. Près de 250 personnes étaient présentes pour célébrer ce premier temps fort, solennel et prestigieux, qui a réuni des officiels et des personnalités du champ sanitaire et social.
L’hommage d’Alain Christnacht
C’est Alain Christnacht, Président du Samusocial de Paris qui a ouvert l’événement par un hommage poignant à Xavier Emmanuelli : « Quand une femme ou un homme est sans toit, on doit lui proposer de l’héberger. Quand il est malade, on doit lui apporter des soins. Quand il est isolé, perdu, il faut l’écouter, le conseiller, l’orienter. C’est une question de dignité, celle de la personne secourue et celle de celui qui doit lui porter secours, car on ne peut dignement détourner le regard. Il y a certes des degrés dans la pauvreté mais ces trois obligations d’héberger, de soigner et d’accompagner sont impératives, du seul fait des situations qui les créent. Ce sont ces principes, Docteur Xavier Emmanuelli, que vous avez voulu traduire en actes, au moment où la loi s’est enfin décidée à dire que le vagabondage et la mendicité ne constituaient plus des délits ».
Le discours du Président faisait aussi écho à l’actualité : « La mission du Samusocial, c’est d’apporter une aide à ceux qui sont présents sur notre sol, même quand ils n’ont pas le droit d’y être, tant qu’ils y sont. On ne peut pas justifier que des enfants, y compris en bas-âge, passent jour et nuit dans la rue au motif que leurs parents ne devraient pas être en France. Quand les personnes sans domicile sont malades, elles doivent être soignées. Avec la limitation de l’aide médicale d’Etat aux situations d’urgence, on inventerait la solution perdant-perdant. Attendre que quelqu’un soit gravement malade et relève d’un service d’urgence pour lui apporter des soins, ce serait non seulement menacer sa santé ou sa vie, ce serait aussi surcharger des services d’urgence déjà au bord de la rupture, et plus coûteux, et aussi, pour les maladies contagieuses, menacer la santé de tous les autres. D’ailleurs les médecins sont tous contre, y compris celui qui est membre du Gouvernement».
Le discours ovationné de Xavier Emmanuelli
En introduction, et longuement salué par le public, Xavier Emmanuelli, fondateur du Samusocial de Paris, est revenu avec émotion sur la genèse de cette première nuit, sur la fondation du Samusocial de Paris mais aussi sur ce concept novateur de l’aller vers : « Il faut se souvenir dʼoù lʼon partait. A cette époque, une unité de police ramassait de force ceux qui dormaient dans la rue et les amenait au Centre dʼaccueil pour sans-abri de Nanterre où j’étais médecin. Ces personnes étaient déposées devant mon Algéco, au cœur dʼune cour sale entourée de grillages. On se retrouvait face à des corps souffrants, des esprits bousculés. Je ne voulais plus quʼon traite les gens comme du bétail ! ».
Antoine Durrleman, l’opérationnel indispensable
En 1993, Antoine Durrleman occupe les fonctions de délégué aux affaires sanitaires et sociales de la Ville de Paris dont Jacques Chirac est le maire. Assis dans l’amphithéâtre face à son compagnon de route, Xavier Emmanuelli, il rappelle le rôle décisif de Jacques Chirac qui appelait Emmanuelli « Le toubib », dans la création du Samusocial de Paris. Antoine Durrleman décrit ainsi la mise en place fonctionnelle d’une telle structure : « Un branle-bas de combat immédiat de toutes les directions de la ville pour trouver un quartier général, mais aussi des véhicules, des chauffeurs et un réseau de communication, des équipages de travailleurs sociaux et d’infirmiers volontaires, un premier centre d’accueil, en capitalisant sur toutes les directions de la Ville de Paris. Mais aussi une mobilisation dès le premier soir de partenaires au-delà des services de la Ville : Transdev pour compéter la flotte de petits cars, la Croix Rouge pour armer certains véhicules, l’Armée du Salut pour gérer le premier centre d’accueil… »
Deux tables-rondes de haute volée
Deux tables-rondes, menées sous la houlette experte du journaliste Laurent Bazin, ont ensuite permis de confronter les points de vue de personnalités du secteur sur des enjeux portés par le Samusocial de Paris. La première table-ronde, intitulée "Le soin au cœur de la lutte contre l'exclusion", a permis d’aborder l’accès aux soins de santé des personnes sans domicile, avec toutes les problématiques que cela implique : suivi et fréquence des soins, accueil et dispositifs médicaux dédiés, prise en charge psychiatrique pour certains, questions éthiques, morales… Les discussions, riches et passionnantes, ont été menées par Luc Ginot, directeur de la Santé publique de l’ARS Île-de-France, Laetitia Buffet, directrice générale adjointe de l’AP HP et Valérie Thomas, directrice médicale au Samusocial de Paris. Cynthia Fleury, philosophe, psychanalyste, qui anime la chaire « Humanités et santé » au CNAM , a clôturé cette table-ronde en rappelant que pour le premier défi pour le soignant est justement de créer un lien pour permettre le soin.
La seconde table-ronde, "Le Samusocial face aux défis d'aujourd'hui et de demain", a mobilisé Jérôme d’Harcourt, adjoint au Délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, Léa Filoche, adjointe à la Maire de Paris en charge des solidarités, Claire Hédon, Défenseure des droits, et Vanessa Benoit, Directrice générale du Samusocial de Paris pour s’interroger sur l’évolution d’une structure qui a vu les besoins augmenter et les publics changer – ainsi, le nombre de femmes et de familles à la rue ne cesse de croître. Comment s’adapter au contexte tendu lié au manque de places et de logements ou à l’accès aux droits ? Des questions sans forcément toutes les réponses à ce jour mais qui ont permis de poser le débat dans le contexte actuel.
Dominique Versini et Emmanuel Grégoire
A l’issue de ce copieux programme, Dominique Versini est intervenue avec une vive émotion pour partager son expérience, en tant que première Directrice générale du Samusocial de Paris, puis Secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre la précarité et l’exclusion, et enfin en tant que Défenseure des enfants puis adjointe à la Maire de Paris aux solidarités de 2014 à 2020 et aujourd’hui chargée de l’enfance.
La manifestation s'est clôturée par le discours d'Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Maire de Paris, qui a rendu hommage à Xavier Emmanuelli et à l’action du Samusocial de Paris et rappelé l’urgence absolue de construire davantage de logements sociaux et d’intégrer les structures d’hébergement aux projets d’urbanisme.
Les participants se sont retrouvés dans la majestueuse Salle des textiles du Conservatoire National des Arts et Métiers pour poursuivre leurs échanges animés pour ce 30e anniversaire du Samusocial de Paris, dont la célébration ne faisait que commencer puisqu’elle se poursuivra tout au long de l’année 2024.